mercredi 14 septembre 2011

Phaoun srey, Bong srey

Je n'ai pas marché en vain, m'est venue sur le chemin, une soeur. Moi qui ai toujours été la "p'tite" dernière, je me découvre la "grande" soeur d'une belle personne rencontrée au long de mes séjours à Kien Kleang.
 Nounou Srey m'a adopté, et c'est un véritable honneur pour moi. M'appelant "bong srey", grande soeur, elle a aussi, du même coup,  choisi ma famille. Elle qui a si peu de souvenirs de ses parents, a fait des miens, les siens. Sa fille Srey Keo, se découvre alors de nombreux cousins et cousines.
Nounou Srey m'a confié pour un moment la boite où elle conserve les quelques photos de sa jeunesse. Celles de son enfance ont été entièrement détruites par les kmers rouges, celle de son mari, "mariage arrangé mais qui ne m'a pas dérangé" dit-elle, ont disparu lors une inondation.
Restent quelques bribes de vie d'un temps pas si lointain. Le temps zéro. Où tout était à reconstruire, dans un pays à terre. Laminé par une guerre meurtrière de 1970 à 1975, le Cambodge détient alors le triste record du pays le plus bombardé au monde. Suit quatre ans de cauchemars et de terreur et dix années d'occupation, pendant lesquelles les pays occidentaux lui ont maintenu la tête sous l'eau.
Nounou Srey par touches légères, photo après photo, pas à pas, me tisse l'histoire de sa vie. Les cambodgiens sont ainsi, discrets et pudiques, difficile alors pour eux d'évoquer leur faiblesse et leur souffrance. Cela signifie perdre la face, et ici, rien n'est plus humiliant que de perdre la face.
Mais peu à peu, patiemment, timidement,  je rassemble le puzzle de son passé.
Son enfance heureuse dans un foyer simple mais cultivé, son père infirmier-peintre, écrivant à l'occasion pour un journal français, la tragédie des années kmers rouges, sa famille décimée, la solitude, la peur, la faim, puis l'arrivée à l'orphelinat, en 1979. Elle est âgée de 10 ans. Petite fille et adolescente, elle se souvient avoir eu faim, très faim, marchant des kilomètres pour aller à l'école, dans la chaleur et la boue. Durant les années 1980, l'occident ne reconnait que le pouvoir kmer rouge comme interlocuteur dans les relations internationales, ce même pouvoir qui sème toujours la terreur dans les campagnes. C'est le principe de la double peine, l'occupation vietnamienne, sans compassion, ni pitié et le couvercle de plomb que nos "diplomaties" referment violemment sur le Cambodge. Le pays déjà exsangue s'enfonce encore plus dans la misère.
C'était il y a une vingtaine d'années chez nous, une année lumière au Cambodge.En 1990, elle sort diplômée du lycée agricole de Phnom Penh et pendant 6 ans, elle travaille pour le ministère de l'aménagement à la construction de digues et de canaux. Elle loge à l'orphelinat mais se déplace dans les provinces pour des missions ponctuelles. Elle se marie en 1996, et s'installe à Phnom Penh. Srey Keo naît en avril 1997. Deux ans plus tard, son mari décède dans un accident de voiture, sans indemnités, sans revenus, elle retourne avec sa fille à Kien Kleang où le directeur de l'époque ( regretté directeur...) lui propose le poste de nounou. A l'époque, l'orphelinat recueille beaucoup de nourrissons et nounou Srey prend vite la responsabilité des touts petits bébés, puis du groupe de garçons. Elle est le repère de tous, la clef de voute des petits et des grands, le coeur battant de Kien Kleang.
Elle est ma petite soeur kmer, phaoun srey.







Srey Keo, dans la cour de l'orphelinat,  alors un jardin fleuri et entretenu, époque de l'ancien directeur, restent les dalles chaotiques.


Pour relire l'histoire de nounou Srey:
http://blogdemarieo.blogspot.com/2010/09/on-ne-marche-jamais-en-vain_16.html

3 commentaires:

  1. Oui, bel hommage et bravo à nounou Srey qui est une personne de bien belle qualité. Son sourire est contagieux et fait plaisir à voir.
    Dis-lui que nous sommes très honorés de cette relation "fraternelle" et que par-delà les distances, nous pensons bien à elle et apprécions le travail qu'elle accomplit.
    Bises
    Yannick

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  2. Le sourire, oui, le sourire de nounou Srey il ouvre les coeurs et efface les pleurs.Elle est entrée,aussi dans ma maison, par ton intermédiaire et parfois, c'est vrai ,je vois son sourire qui ouvre mon coeur et efface mes pleurs.Embrasse la pour moi.Frédérique.

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  3. C'est un article très beau et très émouvant!! Bisous à toi et à nounou Shrey... Mélisande

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