vendredi 5 avril 2013

La première fois

La première fois c'était en automne 2007, en atterrissant au Vietnam,  je découvrais cette Asie, bouillonnante, légère, meurtrie, fiévreuse, déconcertante, joyeuse.
Cette Asie, dont mon père m'avait insufflé la respiration exaltante.

Année 54, mon père travaillait comme mécanicien navigant pour une compagnie aérienne de Toulouse, la Sageta, qui reliait Toulouse à Saïgon. C'était la fin de la guerre d'Indochine, destinés à rapatrier les blessés et à convoyer du matériel pour l'armée, les "Armagnacs" étaient de magnifiques avions capables de transporter entre 80 et 160 passagers (selon leur transformation en classe grand luxe couchettes ou économiques).
A ma naissance mon père avait cessé ses vols sur le Vietnam, les Armagnacs étaient envoyés à la casse, après un scandale politico-économique qui avait fait la une du Canard Enchaîné et secoué le petit monde de l'aviation.
Le temps de mon enfance fut baigné des récits passionnés de mon père. Je l'écoutais me raconter les rizières inondées de soleil,
les effluves des mangues vertes et des poissons séchés dans l'agitation bruyante des marchés colorés. Je le suivais le long des ruelles encombrées de petites échoppes, admirant les femmes en Ao Daï et chapeaux coniques se hâtant vers la pagode pour y honorer Bouddha.
Je frissonnais devant la folie contrastée des cieux de mousson et la violence des pluies de novembre, je respirais la puissante odeur d'encens et d'opium mêlés du  quartier chinois de Cholon.
Je me tenais sur le bac qui traversait le grand fleuve, Mékong fécond et impétueux, (qui me fit dévorer le torride "Amant" de Marguerite Duras).
Et par dessus tout, comme une note tenue dans une partition allegro, je naviguais sur la baie d'Halong, nimbée de cet éclairage laiteux et du mystère de ces incroyables ilôts parsemées au gré des vents, cailloux semés là par un petit Poucet facétieux.
Ces histoires ont capturé mes rêves d'enfant, et, comme autant d'éclats de lumière, ont nourri l'imaginaire de mes 10 ans.
Lorsque presque 40 ans plus tard, je foulais pour la première fois le sol de Saïgon, devenu HoChiMinh, je su avec certitude que j'étais enfin arrivée...
Il y a eu d'autres portes ouvertes, après le Vietnam, le Laos, et la Malaisie, la Thaïlande et bien sur le Cambodge. "Tombée en amour" de ce continent, chaque voyage me renvoie à cette première rencontre avec mes rêves de petite fille, et si maintenant je retrouve avec bonheur ma deuxième famille au Cambodge, je le dois à cette toute première fois...  

L'armagnac, l'avion des vols Toulouse -Saïgon, il n'y en a eu que 8 de construits, c'était à l'époque le plus grand avion français. 
Le plan de vol était le suivant:
Toulouse: décollage à 21h30 
Beyrouth: arrivée à 08h10 (J+1) petit déjeuner au sol et décollage à 9h40, un repas servi en vol 
Karachi: arrivée à 19h50, repas au sol et décollage à 21h20
Calcutta:  arrivée à 4h05 (J+2) petit déjeuner au sol, décollage à 5h35 une collation  en vol 
Saïgon: arrivée à 14h15...deux jours et deux nuits plus tard!  
Merci à Yannick pour ses patientes recherches sur les traces de notre histoire.

(Les tableaux des rizières et des femmes en Ao Daï sont en laque, travaillés artisanalement par des jeunes gens handicapés suite à l'intoxication de leurs parents par l'agent orange. Ce défoliant extrêmement toxique a été utilisé massivement sur les populations civiles par les américains pendant la guerre du Vietnam. Les générations suivantes en paient encore le prix. C'est au cours d'une visite dans le delta du Mékong que j'ai eu l'occasion de m’arrêter dans un atelier de réadaptation et de fabrication d'objets en laque)


5 commentaires:

  1. Bonjour à l’Asie, à nounou Srey, aux jeunes enfants de l’orphelinat, à cette ambiance bouillonnante de vie, de sourires, de contraste. Et bonjour à toi ainsi qu’à ton appareil photo qui nous capte de si belles scènes de rues, de tranches de vie et de portraits et bonjour à ton Internet qui nous permet de recevoir tout ça commenté de textes qui viennent mettre une « french touch » à ces observations et témoignages.
    Le dicton du jour : à la Saint Marcellin, la Marie-Odile, des souvenirs elle en a plein…
    Bises
    Yannick

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  2. Waouh un vrai voyage en "Armagnac" dans l'histoire...et un bel hommage à ton papa. Merci à toi qui continue en A 380 sur ses pas. Là, tu me fait rêver un max, ça devait être quelque chose ! Malheureusement, sûrement pas pour les fauchées comme nous à l'époque que l'on entassait sur un bateau pour un mois ! Finalement on a peut-être de la chance : on a le rêve du passé, et les moyens aujourd'hui. C'est super non ? Bises. embrasse la terre du Cambodge pour moi. Marielle

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  3. Très belle évocation d'un autre Temps...toi, petite, ton Pére, l'Histoire...et l'Asie.Belle écriture...Continues.
    Salut à toi et à Paulette et tous et toutes et à Chhay Leang mille bisous.Frédérique.

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  4. oui très belle histoire... moi qui croyais te connaitre, je ne savais pas l'histoire de ton papa.
    Je comprends mieux ta passion pour le Cambodge aujourd'hui.
    Un gros bisous à Paulette qui je l'espère a bien voyagé et bien dormi le 1er jour de votre arrivée :)
    gros bisous à Sophoung également

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