Monsieur vinaigre

Je vous jure, j'ai pourtant tout essayé. La respiration superficielle par le ventre, le point de pression de la dernière phalange de l'index, le massage circulaire de la tempe, l'expiration longue et profonde, l'auto persuasion mentale, le palper toucher de la pierre de protection dans la poche, tout, j'ai tout essayé. Rien à faire, Monsieur "biiip" me défrise, m'exaspère, m'horripile. D'années en années, il tourne au vinaigre, pas le vinaigre doux, balsamique ou de framboise, non le vinaigre brut d'alcool tellement acide qu'il attaque le calcaire et récure les chiottes.
Depuis l'an dernier, tout est encore plus compliqué, la moindre activité avec les jeunes nécessite des trésors de diplomatie (ou d'hypocrisie comme on veut) pour en justifier la demande, et ce n'est jamais sans contrepartie. Je n'avais pas prévu cette année de sorties avec les jeunes, beaucoup de bénévoles se sont relayés cet été, et ont, à plusieurs reprises, proposé des journées à l'extérieur. Je passe beaucoup de temps à l'orphelinat, j'ai repris la formation des gestes aux premiers secours, proposé chaque dimanche un grooooos goûter de fruits frais, renouvelé les tongs, fourni chacun en shampoing et lessive, et remis en place les roulements chez les dentistes....
Mais lorsque cet après midi j'ai prévenu Monsieur vinaigre que je voulais accompagner mon filleul, Pov, pour contrôler sa vue (car il me semblait avoir des difficultés à la vision de loin) ce ne fut pas si simple.
Il m'a perfidement expliqué qu'il avait prévu de fournir chaque groupe (au nombre de 7) de Kien Kleang d'une trousse de secours, qu'il s'empresse de me montrer. Il sort de son armoire, deux "safety box". L'équivalent de ce qu'on nous vend en France au début de l'été pour parer aux "bobos" des vacances : pansements, désinfectant, bandes, le minimum nécessaire conditionné dans une jolie boite marquée d'une grosse croix rouge.
Je suis un peu surprise, très bien, mais qui va être responsable de ces trousses de secours? Nounou Srey et Gneup peuvent sans problème s'occuper de leur groupe, d'autant qu'elles ont déjà accès à l'infirmerie qu'elles gérent à toutes les deux en l'absence d'infirmières. Restent les cinq autres groupes, sans réel responsable hormis les jeunes eux mêmes !
C'est sans compter sur l'à propos totalement déconcertant de Monsieur vinaigre. Mais voyons c'est Monsieur " Hongggonaang" (s'en suit un son inaudible à mon oreille déjà un peu sourde de française)
Il me tend alors un papier et je crois saisir que là, oui là, (doigt tapotant nerveusement la feuille qu'il me flanque dans les mains) tout est est écrit et expliqué.  Hahaha, la bonne blague, je lui fais remarquer bétement que le papier en question est écrit en kmer, et tout à coup, je ne sais pas pourquoi, il ne comprend plus n'y l'anglais, ni le français...
Sortie du bureau déconcertée, je me renseigne auprès des jeunes pour savoir qui est ce fameux Monsieur "Hongggonaaag" et chacun de partir d'un grand éclat de rire. Il s'agit du frère de Monsieur vinaigre", officiellement "nounou" d'un groupe de grands, officieusement présent sur l'orphelinat deux heures par semaine ? mois?
Marmonnant un "Why not?"  qui ne m'engage pas vraiment, j'ai réussi à emmener mon filleul pour un controle optique. Il est ressorti avec des lunettes.
Je ne sais pas comment je vais répondre à sa demande. L'achat de trousses de secours est inutile, très rapidement elles vont prendre la poussière, l'humidité, se périmer et ne seront jamais controlé ni renouvellé.
Alors qu'il refuse de conduire les enfants chez le médecin ou le dentiste, que, hormis nounou Srey et Gneup, aucun des autres "responsables" de groupe n'est présent jour et nuit et en capacité de prendre en charge les soins même de base (quand ils ne sont pas tout simplement en emploi fictif, ben quoi y'a pas que chez nous que ça existe!).
Et que les jeunes manquent de shampoing, de lessive, de savons, de brosses à dents et dentifrices...

Les photos de dessins de jeunes de l'orphelinat n'ont absolument aucun rapport avec ce qui précède, c'est juste un pur instant de plaisir après ce petit billet d'humeur (mauvaise) !